MON 6: Sobriété Numérique et stratégie digitale

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Auteurs :
  • Louise Gacoin

L’objectif de ce MON est de comprendre le phénomène de sobriété numérique et comment il influence la stratégie digitale des entreprises.

Sommaire:

  1. Définition et histoire du mouvement
  2. Ce que dit la loi
  3. Un nouveau besoin pour les entreprises : intégrer la sobriété au coeur de la stratégie digitale
  4. Evolution de certains métiers : les nouvelles offres de conseil et le développement responsable
  5. Les labels
  6. Conclusion

1. Définitions et hsitoire du mouvement :

La sobriété numérique est une démarche qui vise à reconnaître que le numérique est consommateur et se demander comment minimiser son impact environnemental.

Ce terme est utilisé pour la première fois en 2008 par l’association GreenIT.fr qui donne la définition suivante : « la démarche qui consiste à concevoir des services numériques plus sobres et à modérer ses usages numériques quotidiens ».

Ce n’est qu’en 2018 que le concept de sobriété numérique prend vraiment son importance lorsque l’association française The shift Project publie son rapport : Lean ICT : Pour une sobriété numérique. Cette association a pour mission « d’éclairer et influencer le débat sur la transition énergétique, en France et en Europe. » . Son objectif est de proposer des mesures opérationnelles qui permettent réellement de changer notre impact sur l’environnement. Tout cela dans le but d’influencer positivement les futures décisions politiques et économiques. Son projet Lean ICT présente « une réflexion sur les pratiques et actions permettant de limiter les impacts environnementaux directs et indirects du Numérique, tout en maximisant l’effet net des leviers du Numérique en matière de transition écologique. »

On y découvre des constats chocs sur la pollution par le numérique : Le secteur du numérique représente 4 % des émissions mondiales de gaz a effet de serre. C’est plus que l’aviation civile (2.4%). On identifie 3 types de sources d’émissions :

Avec l’essor du numérique, ces émissions pourraient doubler d’ici 2025. D’autant plus que la simplicité du numérique provoque un effet rebond : on consomme plus car on est libéré de limites physiques, budgétaires... Par exemple, on envoi plus de mails que ce qu’on aurait envoyé de lettre si les mails n’existaient pas. De plus, certaines technologies en vogue comme l'IA sont très gourmandes en énergie. On entend beaucoup parler de ChatGPT ces temps-ci mais peu de monde s'interesse à son empreinte carbonne. Des chercheurs du MIT ont estimé l’empreinte carbone des quatre modèles les plus sophistiqués de l’IA (GPT-3, BERT, ELMo, Transformer). Leurs conclusions: une session d'entraînement d’un modèle peut générer environ 282 tonnes d’équivalent CO2 (cinq fois plus qu’une voiture américaine durant tout son cycle de vie). Pour Chat GPT, on estime 552 tonnes de CO2 pour l'entrainement de GPT 3, et 8,4 tonnes de CO2 par an pour son utilisation. C'est un réel gouffre energétique.

Ce rapport a donné lieu à de nombreuses interventions et conférences au sujet de la sobriété numérique et à plus de 1000 articles de presse dans le monde. Ses retombées ont été très bénéfiques puisqu’il a mis en lumière les enjeux de notre utilisation du numérique. Depuis, d’autres rapports sur le numérique ont confirmé l’urgence d’agir et de changer nos modes de consommation. Voici quelques exemples :

Quelques chiffres effrayants en plus : (en 2019)

The Shift project a publié un second rapport en mars 2021 qui actualise les chiffres de l'impact du numérique et comfirme certaines de leurs hypothèses d'évolution. Ainsi, le taux de croissance des émissions de GES dues au numérique est d’environ 6 % chaque année depuis 2019. L'impact du secteur n'a fait qu'augmenter ces dernières années. D'ici 2025 le numérique représentera entre 5,5 % et 7% des émissions mondiales.

Maintenant que nous sommes conscients du problème, quelles sont les solutions ?

A l’échelle individuelle  des petites actions simples permettent de réduire son impact :

Sur le matériel : On peut d’abord prioriser les équipements d’occasion ou reconditionnés. Choisir des équipements qui durent ou qui sont réparables . On peut aussi remettre en question l’IoT. A-t-on vraiment besoin que tous nos objets soient connectés ? Toutes ces initiatives sont bien sur difficiles à mettre en place à cause du marketing agressif des marques d’électronique et l’obsolescence programmée de nos objects.

Sur l’utilisation : L’utilisation du numérique, c’est le traffic de données. 80 % des flux de données sont des échanges de vidéos (services de vidéos à la demande comme Netflix, Youtube ou Pornhub ou envoies par mails…). Le premier geste serait donc de limiter la qualité des vidéos qu’on regarde. Lors de l‘envoi de fichiers :programmer une date d’expiration du fichier permet d’encombrer moins les serveurs. On peut aussi conserver nos fichiers volumineux sur des disques durs externes plutôt que sur le cloud (qui est alimenté en permanence).

Voilà ! Toutes ces résolutions sont bien belles mais des efforts individuels ne suffiront pas. Dans l’étude de carbone 4 citée précédemment, on apprend que si chaque individu devenait exemplaire sur sa façon de consommer (le numérique et tout le reste), seul 1/4 de l’objectif de réduction de notre impact environnemental serait atteint. Il faut donc agir à des niveaux plus élevés, du côté des entreprises et de l’État.

2. Ce que dit la loi :

Depuis la sortie de ces différents rapports, plusieurs lois ont été adoptées à l’échelle Européenne et Française en faveur de la sobriété numérique. En 2022, l’Europe créée la DSA et DMA (Digital Service Act et Digital Market Act). Ces lois visent à protéger les consommateurs face aux géants du digitale mais aussi à lutter contre les pratiques anticoncurrentielles de ces géants afin de corriger les déséquilibres de leur domination. Les directives « Batterie » de l’Union Européenne, revue en 2022, prévoie notamment la collecte et le recyclage systématique des batteries usagées.

De son côté, la France va plus loin dans les démarches de sobriété numérique. En 2020 , la loi anti gaspillage pour une économie circulaire est votée. Elle prévoit notamment la mise en place d’un indice de réparabilité obligatoire pour certains équipements (smartphones, ordinateurs, tondeuses, lave linge). Cet indice permet de sensibiliser les consommateurs à l’obsolescence programmée mais veut aussi pousser les constructeur à repenser la fabrication de leurs appareils afin qu’ils soient réparables. Depuis novembre 2021, la loi REEN vise à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France. Cette loi est très complète et couvre les sujets suivants :

En conséquence de tout cela, les constructeurs de matériels et de logiciels sont maintenant obligés d’informer les consommateurs sur le cycle de vie de leurs produits, leur réparabilité ainsi que l’empreinte carbone associée. Les constructeurs doivent aussi rendre des comptes à l’ARCEP (l’Autorité de régulation des communications électroniques) avec des rapports détaillés sur leur empreinte environnemental. Tout ceci n’est que le début de la démarche entreprise par l’UE et la France. On peut en conclure que les constructeurs ont intérêts à se montrer exemplaire sur le sujet de la sobriété numérique sous peine de souffrir d’une mauvaise publicité avec tous ces nouveaux indicateurs obligatoires. Ne pas suivre le mouvement provoquerait probablement une perte de clients.

3. Un nouveau besoin pour les entreprises : intégrer la sobriété au coeur de la stratégie digitale

On l’a vu, la loi Française est assez stricte sur le sujet de la sobriété numérique et va surement pousser les entreprises à faire évoluer leur stratégie pour mieux se conformer aux exigences de l’état. Cependant la contrainte n’est pas seulement légale. En effet la clientèle évolue : Les consommateurs sont de plus en plus soucieux de leur empreinte carbone et exigeants sur l’impact de leurs produits. Leurs comportements d’achat sont maintenant en partie guidés par leur conscience environnementale. limiter l’impact environnemental devient donc indispensable pour l’image de marque dans un monde ou l'expérience client est au cœur des préoccupations.

La mise en place d’une stratégie de sobriété numérique permet donc de satisfaire les clients et l’État. Elle a d’autres avantages : la réduction des dépenses et la réputation de l’entreprise auprès de ses collaborateurs. Adopter une consommation du numérique plus propre signifie surveiller et optimiser sa consommation. Moins de consommation équivaut donc à moins de dépenses. Ça paraît logique ! De plus, avec la prise de conscience générale sur l’urgence climatique, les collaborateurs deviennent plus exigeants avec les entreprises qu’ils choisissent. 62% des étudiants des grandes écoles sont prêts à refuser un poste dans une entreprise qui ne propose pas d’engagement social et environnemental. Dans un monde où les entreprises doivent redoubler d’efforts pour attirer de nouveaux « talents », elles ont tout intérêt à suivre le mouvement. De plus, la plupart des salariés déjà en place voudraient être plus impliqués dans la démarche RSE de leur entreprise.

Attention la mise en place d’une telle stratégie n’est pas facile. Certaines organisations créent une direction, un service RSE et choisissent de travailler en silo sur des projets 100% RSE. L’impact de leurs actions est limité puisqu’elles manquent de transversalité. Dans ce cas de figure on peut parler de “marketing RSE”.

Comment opérer une bonne transition ?

Les bonnes pratiques : L ‘évolution doit commencer au niveau de la direction générale de l’entreprise qui doit intégrer la sobriété numérique dans sa stratégie de développement. Mais comment faire ? The shift Project nous donne les 8 vecteurs du référentiel des bonnes pratiques à suivre pour la mise en place d’un plan de transformation « sobriété numérique » ainsi qu’une méthode complète  (ça tombe bien!) https://www.cigref.fr/publication-sobriete-numerique-une-demarche-d-entreprise-responsable (Nous décrirons ce processus plus en détails dans la partie suivante.)

Le service RSE ainsi que la DSI doivent travailler ensemble (avec le support de la direction) pour établir des axes d’amélioration, des projets transversaux. La sobriété numérique concerne tous le monde !

4.Evolution de certains métiers : les nouvelles offres de conseil et le développement responsable

Dans ce contexte, les offres des entreprises de conseil évoluent. Lorsqu’on se promène sur les sites de ce dernière, des démarches « durables » ou « responsables » sont mises en avant. ‘ Le numérique responsable est une démarche d’amélioration continue qui vise à améliorer l’empreinte écologique et sociale du numérique. Selon le site du gouvernement, « Le numérique responsable recouvre le Green IT pour réduire l’empreinte environnementale à l’échelle de la DSI, l’IT for green qui met le numérique au service du développement durable et la conception responsable des services numériques ».’

https://www.wavestone.com/fr/offre/vers-une-revolution-durable/

Les entreprises de conseils s’engagent au nivau RSE et mettent en place des indicateurs liés à l’empreinte environnementale dans chacune de leur missions. Certaines entreprises ont même créées des offres complètement dédiées à la sobriété numérique ou au Green IT. C’est le cas de Wavestone qui nous explique la démarche de ces missions dans le Podcast Impact et vous. La sobriété numérique couvre 2 aspects: une optimisation technique et une modération de nos usage.

Etape 1, évaluation : Grâce à une grille de maturité, on évalue la maturité de l’entreprise sur le sujet de la sobriété numérique. Les gros sujets passés en revue sont : les terminaux utilisateurs (on a vu plus tôt qu’ils sont la plus grosse source de consommation),les réseaux, les serveurs, la sensibilisation et la mesure (comment on mesure l’empreinte, quels indicateurs existent) .

Etape 2, définition d’une stratégie : Encore peu d’entreprises définissent une trajectoire d’objectifs de réduction d’impact carbone. Il faut définir une stratégie . L’enjeux environnementale doit être pris en compte dans l’arbitrage des projets, dès le début. Il faut mettre en place des indicateurs de performance énergétique pour orienter la prise de décision et mettre la sobriété numérique au cœur des enjeux.

Étape 3, sensibilisation : Pour les DSI, le plus important est la sensibilisation de tous les collaborateurs à l’impact du numérique. Faire passer un tel message est loin d’être facile, surtout quand cela implique des changements dans les postes de travail.

Etape 4, éco gestes : Préconisation d’actions à mettre en place. Par exemple, Wavestone a identifié une base d’un 12 aine d’éco-gestes prioritaires à adapter.

Du côté des développeurs, l’éco conception gagne du terrain. L’ADEME la définit comme : “une démarche préventive et innovante qui permet de réduire les impacts négatifs du produit, service ou bâtiment sur l’environnement sur l’ensemble de son cycle de vie (ACV), tout en conservant ses qualités d’usage”. Autrement dit, on réduit la quantité de ressources informatiques nécessaire. Les experts du sujet préfèrent utiliser le terme conception responsable de service numérique. Dans cet objectif, on va créer des logiciels plus sobres, moins ‘gras’, centrés sur l’essentiel. Ces logiciels ont l’avantage de toucher un plus grand public, car ils sont simples à utiliser. Ils ont aussi l’avantage d’utiliser moins de batterie. Ce sont deux avantages marketing indiscutables.

Ainsi, la SNCF, avec son projet COSMO, a conçu des applications très peu énergivores afin de permettre à ses contrôleurs.ses de contrôler et informer les voyageurs sans devoir recharger leurs appareils trop souvent. Facebook a également développer sa version mobile “allégée” et moins consommatrice : le Facebook Lite qui compte aujourd’hui plus de 200 millions d’utilisateurs. Bien sur l’eco conception n’affecte pas seulement le travail des développeur : on peut toujours optimiser le code d’une fonctionnalité qui ne sera jamais utilisée, cela restera du gras numérique. Les principaux leviers de l’écoconception logicielle se situent en amont et en aval de la phase de développement. Elle porte surtout sur la conception fonctionnelle, graphique, ergonomique, et technique. Quelques bonnes pratiques : 1. Modification du code : c’est ce que la communauté du Green Code Lab a mis en place en publiant un ouvrage entier afin de diffuser des “green patterns” pour réduire la consommation du code. 2. Privilégier les plugs in qui appellent toutes les données en une fois, gèrent les “timeout”, utilisent mieux les caches et bannir les requêtes multi-serveurs. 3. Simplifier au mieux le design en se penchant sur les besoins essentiels seulement : c’est ce que la startup Greenspectors fait, en accompagnant les entreprises éditrices de logiciels.

De nouveaux services innovants voient aussi le jour tel que Treebal, une plateforme de messagerie eco conçue. https://www.treebal.green/eco-conception.html

5. Les labels

Aujourd’hui, aucune norme autour de la sobriété numérique n’est certifiable (contrairement à la norme ISO 9001 par exemple). Seul le recours à la labellisation permet de valoriser cette démarche dans les entreprises .On dénombre de nombreux d'éco-labels plus ou moins reconnus. En général, ceux-ci reprennent les exigences réglementaires imposées aux produits IT et plus largement aux équipements numériques à l'échelle nationale ou européenne

Pour les éditeurs de logiciels ou site web, plusieurs labels (plutôt récents) existent. En France les principaux labels sont le label Greenspector, Le green code label  et label Numérique Responsable soutenu par le ministère de la Transition écologique. L’obtention de ces labels nécessite de suivre des formations sur la sobriété numérique et de passer un audit avec un expert (Le label est obtenu si ‘entreprise atteint un certain score). Chacun est valable pendant 2 ans environ.

Pour les fabricants de hardware, les labels sont plus nombreux et plus vieux (ils existent depuis les années 1990). En général ils couvrent les impacts environnementaux d'un produit, de l'extraction des matières premières au recyclage, en passant par l'usage. A l’échelle de l’Europe, on peut citer les labels Nordic Swan, Blue Angel et TCO. Rappelons ici qu’il faut être vigilant face aux labels ! Ces derniers peuvent en effet être gage de qualité des produits cependant de nombreux labels se contentent de reprendre les critères légaux et restent vagues sur leur manière d’évaluer les entreprises. N’oublions pas de nous renseigner et d’exercer notre esprit critique lorsqu’on rencontre l’un d’eux.

6. Conclusion

Nous vivons dans l’air de la transformation digitale. On numérise tout, en croyant tout optimiser sans se rendre compte de l’impact de nos pratiques sur l’environnement. En effet la pollution du numérique est moins tangible que celle des autres industries. Elle n’en est pas moins conséquente.De plus, avec la montée de l’IA, nos machines sont toujours plus performantes et consommatrices. Les gouvernements Français et Européens commencent à s’emparer du sujet de manière assez remarquable (il faut bien l’avouer). De nombreuses associations comme la Fresque du Numérique tentent de sensibiliser le public à l’impact du numérique via des ateliers. Le sujet est aussi de plus en plus pris au sérieux par les entreprises qui sont poussées par les évolutions des normes mais aussi par la mode du durable. Cependant nous restons majoritairement mal informés sur le sujet. La plus grande priorité est donc la prise de conscience collective. J’espère que la lecture de ce MON vous aura intéressé et vous aidera à consommer et produire du numérique plus responsable.