Mots de Bruijn

Auteur :
  • François Brucker

Des graphes eulérien là où ne s'y attend pas. Une application qui montre encore une fois comme preuve d'existence et algorithme de création de structure sont intimement liés.

Commençons par motiver ce projet : le problème du digicode

On a encore oublié ce fichu code de la porte d'entrée. Quel est le moyen le plus rapide de trouver le bon code ?

Formalisation du problème

Il faut trouver un mot de longueur $p$ d'un alphabet $\mathcal{A}$ à $n$ caractères (un mot est une suite de $p$ caractère de $\mathcal{A}$).

Exemple : Les mots de longueur $p=3$ de l'alphabet $\{0, 1\}$ à $n=2$ caractères. Il y a $n^p = 2^3 = 8$ mots de longueur 3 différents qui sont :

Si l'on veut trouver une chaîne de caractère qui contient tous les mots de longueur $p$ d'un alphabet à $n$ caractère on peut coller bout à bout tous les mots.

Exemple : Dans l'exemple cela donne par exemple le mot : $000001010011100101110111$ de longueur $p \cdot n^p = 3 \cdot 2^3 = 24$.

Tous les mots

Pour trouver tous les mots de longueur $p$ d'un alphabet $\mathcal{A} = [a_0, \dots, a_{q-1}]$, nous allons procéder par étapes.

Commencez par montrer que :

Si l'on possède l'ensemble $M$ de tous les mots de longueur $p$ de l'alphabet $\mathcal{N} = [0, 1, \dots, q-1]$, il est facile de trouver tous les mots de longueur $p$ de l'alphabet $\mathcal{A} = [a_0, \dots, a_{q-1}]$.

solution

On utilise la bijection $f$ qui a un mot $m=n_0\dots n_{p-1}$ associe $f(m) = a_{n_0}\dots a_{n_{p-1}}$

On peut donc se focaliser sur l'énumération des mots de longueur $p$ de l'alphabet $\mathcal{N} = [0, 1, \dots, q-1]$. Soit $m = m_0\dots m_{p-1}$ un mot de longueur $p$ de l'alphabet $\mathcal{N} = [0, 1, \dots, q-1]$ tel qu'il existe $m_i \neq q-1$. On note : $\mbox{next}(n, q) = n_0 \dots {n}_{p-1}$ le mot tel que :

Montrez que la fonction $\mbox{next}()$ permet d'énumérer tous les mots de longueur $p$ de l'alphabet $\mathcal{N} = [0, 1, \dots, q-1]$.

solution

n = [0] * p

print(n)
while n != [q-1] * p:
    n = Next(n, q)
    print(n)

Les suites obtenues sont bien deux à deux différentes car elles sont ordonnées lexicographiquement.

Codez la fonction next(n, q) qui donne le successeur de $n$.

En déduire un algorithme (que vous coderez), qui rend tous les mots de longueur $p$ d'un alphabet à $q$ caractères.

Le plus court

La longueur la plus petite possible d'une chaîne de caractère qui contiendrait tous les mots serait que les mots se chevauchent : les $p-1$ derniers caractères du i-ème mot seraient égaux aux $p-1$ derniers caractères du (i+1)-ème mot.

Montrez que la taille minimale théorique est de : $$ 1 \cdot p + (n^p - 1) \cdot 1 = p - 1 + n^p $$ caractères.

solution

Dans le cas où les mots se chevauchent, chaque mot de compterait que pour 1 nouveau caractère dans la chaîne, à part le premier mot qu'il faudrait écrire entièrement : le 1er mot compte pour $p$ caractères les autres comptent uniquement pour 1 caractère, d'où la formule demandée.

Le gain serait de : $\frac{p-1 + n^p}{pn^p} \simeq \frac{1}{p}$, on diviserait donc la taille par $p$, ce qui n'est pas négligeable.

Exemple : La longueur minimale est de $3-1 + 2^3 = 10$, qui est bien plus petit que 24.

Sauf que l'on ne pas pas si une telle chaîne existe...

Bruijn et Euler to the rescue

Considérons le graphe orienté suivant, appelé graphe de Bruijn $B(n, p+1) = (V, E)$ où :

Donnez le graphe de Bruijn associé aux mots de longueur 3 de l'alphabet $\{0, 1\}$.

solution

graphe de Bruijn

Codez l'algorithme qui crée le graphe $B(n, p+1)$ pour l'alphabet des entiers allant de 0 à $n-1$.

Si vous codez le graphe par dictionnaire, il faudra que vos sommets soient des tuples et non des listes (qui ne peuvent être des clés de dictionnaires ou d'éléments d'ensembles).

Propriétés

Si $xy$ est un arc du graphe, alors on a que $x = aX$ et $y= Xb$ où $X$ est un mot de longueur $p-1$ et $a$et $b$ des caractères : l'arc correspond au mot de longueur $p + 1$ = $aXb$ et ce mot n'apparaît qu'une fois (car à ce mot ne correspond qu'un unique $x$ et $y$).

Réciproquement chaque mot de longueur $p + 1$ pouvant s'écrire sous la forme $aXb$ avec $X$ un mot de longueur $p-1$ et $a$ et $b$ des caractères, tout mot de longueur $p + 1$ est associé à un arc.

Enfin, pour un sommet $x$ donné, il possède $n$ arc entrant (correspondant à tous les mots de longueur $p$ dont les $p-1$ derniers caractères correspondent aux $p-1$ premiers caractères de $x$) et $n$ arc sortant (correspondant à tous les mots de longueur $p$ dont les $p-1$ premiers caractères correspondent aux $p-1$ derniers caractères de $x$) :

le graphe $B(n, p+1)$ est eulérien pour tout $p$ et tout $n$.

Cycle eulérien

Un cycle eulérien du graphe $B(n, p)$ correspond à une suite comprenant tous les mots de longueur $p$. En analysant 3 sommets successifs de ce cycle $u_{i-1}u_iu_{i+1}$ on remarque que le mot correspondant à l'arc $u_{i-1}u_i$ et celui correspondant à l'arc $u_iu_{i+1}$ sont tels que les $p-1$ derniers caractères de l'un sont les $p-1$ premiers caractères de l'autre.

Donnez le cycle eulérien associé a un graphe $B(n, p)$ donné. Vous pourrez vous inspirer de l'algorithme du cours en adaptant chaque fonction au fait que notre graphe est orienté. En particulier :

  • la découverte du cycle se fera avec l'algorithme circuit(G, a)
  • la suppression du cycle dans le graphe (fonction supprime(G, c)) doit être adaptée en ne supprimant pas l'arc réciproque dans la structure

Mot de Bruijn

Un cycle eulérien $u_0\dots u_k$ (donc $u_k = u_0$) de $B(n, p)$ nous permet de construire les $n^p$ différents mots : c'est les mots correspondants aux arcs $u_iu_{i+1}$.

De là on construit le mot qui commence par le mot associé à $u_0u_1$ puis on ajoute itérativement le dernier caractère du sommet $u_i$ pour $i > 1$.

La construction ci-dessus est équivalente à commencer par le mot associé à $u_0$ et à ajouter itérativement les derniers caractères de tous les $u_i$, $i > 0$.

Ce mot, appelé mot de Bruijn a bien les propriétés suivantes :

Conclusion

Il existe bien un mot de taille minimale ($p +(n^p-1)$ caractères) contenant tous les mots de longueur $p$ d'un alphabet à $n$ lettres, et ce quelque soit $n$ et $p$.

Exemple

Un cycle eulérien associé est alors 10-01-11-11-10-00-00-01-10 ce qui donne le mot de Bruijn associé : 1011100010.

Créez l'algorithme qui rend le mot de Bruijn associé à un cycle eulérien d'un graphe $B(n, p)$ donné.